7 mai 2013

Guy DEBORD contre le cinéma


La force du capitalisme est sa propension à récupérer les idées, mêmes les plus subversives, en les marchandisant. Ainsi, la BNF organise une exposition et édite un catalogue sur Guy Debord, pourfendeur de la société du spectacle. À 7 euros l’entrée et 39 euros le catalogue, l’opération commerciale s’avère juteuse.

Parmi ceux qui rendent aujourd’hui hommage à Guy Debord après l’avoir ignoré ou méprisé, il y a un certain Philippe Sollers qui pratique l’art du détournement pour faire son propre éloge.

Guy Debord a fait de son existence tout entière, avec un acharnement remarquable, jusqu’à la suppression de soi, une épreuve de liberté constante. En n’adhérant jamais à rien, et en restant toujours dans une position de clandestinité, autrement dit de guerre. Ce qui est impressionnant, chez lui, c’est cette fermeté, cette tenue. Ses façons de procéder sont absolument différentes des miennes – je n’ai pas choisi, comme lui, la position du retrait, plutôt celle de l’utilisation à haute dose de la technique médiatique, mais le but est le même.
Télérama, 26/03/2013

Sollers se garde bien de rappeler qu’il fut idolâtre de Mao alors que l’Internationale situationniste fut l’une des rares organisations à dénoncer la « pseudo-révolution pseudo-culturelle ».

Mais Guy Debord fut-il aussi subversif que le prétendent ses ex-ennemis convertis en amis ou les marchands de l’indignation ?
Il fut surtout un dilettante qui ambitionnait à la succession du surréalisme via l’Internationale lettriste puis l’Internationale situationniste. Mais, comme André Breton, il pratiqua l’exclusion puis la dissolution d’un mouvement qui lui échappait.

Guy Debord, comme il l’écrit lui-même, « n’a effectivement rien fait et presque rien voulu faire ».

On parle avec respect de M. Debord qui a imputé à la société dans son ensemble tous les échecs et toutes les faillites – comme s’il avait lui même réussi une seule fois quelque chose, à l’exception de cette manœuvre stratégique par laquelle il s’est placé comme au-dessus de son époque et de tout examen de sa conduite…
Ce pur nihiliste n’a voulu que détruire et n’a rien fait d’autre. Ils ont été bien déçus, ceux qui lui ont fait confiance sur une perspective positive : les artistes en 1960 et les révolutionnaires dix ans après…

M. Debord a commencé sa carrière en annonçant que l’art était mort et l’a prouvé par ses propres œuvres, qui en effet ne sont pas tombées dans l’inconséquence de se faire reconnaître comme des œuvres d’art.

« Son activité cinématographique » est « égale à moins que rien ». Guy Debord a raison car il faut être idolâtre ou masochiste pour regarder Hurlements en faveur de Sade. Ce long métrage (1h03), complètement dépourvu d’images, alterne un texte récité en voix off sur un écran blanc avec un écran noir sans son. L’écran noir sans son occupe de plus en plus d’espace-temps jusqu’à phagocyter les vingt dernières minutes de ce non-film. Tous les autres films de Guy Debord sont constitués d’un texte récité sur un ton monocorde en voix off et des collages de scènes d’actualité, de publicités (beaucoup de pin-up), d’extraits de films célèbres.

En 1917, Marcel Duchamp avait aboli l’art en achetant un urinoir industriel dans un magasin à New York et en y ajoutant l’inscription « R. Mutt 1917 », façon d’affirmer « ceci est de l’art », pour l’exposer. L’urinoir original ayant disparu, il reste aujourd’hui des répliques réalisées à l’initiative de marchands d’art ou de commissaires d’exposition du vivant de Marcel Duchamp et avec son accord. Les gogos admirent une réplique, exposée au Musée d’art moderne du Centre Georges Pompidou. Une autre réplique a été vendu aux enchères par Sotheby’s pour la somme de 1,677 million d’euros.

Marcel Duchamp ayant acté la mort de l’art bourgeois et André Breton celle de l’art « révolutionnaire », il ne restait plus d’espace dans ce champ de ruines pour un Guy Debord sinon un écran noir sans son et son auto-critique.

M. Debord a dit quelques vérités sur le spectacle, mais il a eu bien tort d’en tirer des conclusions révolutionnaires.

06/05/2013
Serge LEFORT
Citoyen du Monde

Œuvres :
• Guy DEBORD, Hurlements en faveur de Sade, 1952 [Ciné Monde].
• Guy DEBORD, Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps, 1959 [Ciné Monde].
• Guy DEBORD, Critique de la séparation, 1961 [Ciné Monde].
• Guy DEBORD, La société du spectacle [1967], Gallimard, 1992 [Texte en ligne].
• Guy DEBORD, La société du spectacle, 1973 [Ciné Monde].
• Guy DEBORD, Réfutation de tous les jugements, tant élogieux qu’hostiles, qui ont été jusqu’ici portés sur le film « La Société du spectacle », 1975 [Ciné Monde].
• Guy DEBORD, In girum imus nocte et consumimur igni, 1978 [Ciné Monde].
• Guy DEBORD (1952-1994), Audio et Textes en ligne.
• Bio-Bibliographie, Wikipédia [Dossier mis à jour par Serge LEFORT le 25/04/2017].

Hommages ou critiques :
• Le cinéma sans cinéma ou l’œuvre fantomatique de Guy Debord, Télérama, 23/03/2013.
• Debord à la BNF : situ veux ou situ veux pas ?, Politis, 17/04/2013.
• Guy Debord : ni retour ni réconciliation, France Culture, 18/04/2013.
• Guy Debord (1931-1994), France Culture, 20/04/2013.
• Projection privée : autour de Guy Debord, France Culture, 04/05/2013.
• Antoine COPPOLA, Introduction au cinéma de Guy Debord et de l’avant-garde situationniste, Sulliver, 2006 [BooksGoogle].
• Brigitte CORNAND, Guy Debord, son art, son temps, 1994 [Ciné Monde].
• Fabien DANESI, Le cinéma de Guy Debord ou la négativité à l’œuvre (1952-1994), Expérimental, 2011 [EntretienÉtudes photographiquesKinok].
• Emmanuel GUY, Fabien DANESI, Fabrice FLAHUTEZ, La fabrique du cinéma de Guy Debord , Actes Sud, 2013.
• Stéphane ZAGDANSKI, Debord contre le cinéma, 1964 [Texte en ligne].

Lire aussi :
Revue de presse Cinéma 2013, Monde en Question.
Veille informationnelle Cinéma, Monde en Question.
Dossier documentaire Cinéma, Monde en Question.

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