31 juillet 2002

"Notre bilan est nul"

« Travailleuses, travailleurs, Lutte ouvrière n'a pas progressé d'une manière significative à l'élection présidentielle et a reculé aux élections législatives. Notre organisation est trop faible pour intervenir politiquement dans les entreprises et dans les quartiers. Le stalinisme a tué le socialisme. Nous ne sommes rien. Si vous souhaitez malgré tout construire le Parti capable "de peser en permanence sur la vie politique et d'y représenter les intérêts de la classe ouvrière", laissez-nous un message en poste restante. »

Arlette Laguiller n'a pas prononcé ce discours croiront ceux qui espèrent que LO puisse encore représenter une alternative à la défaite du Parti socialiste et du Parti communiste le 21 avril et au ralliement en fanfare de la gauche plurielle sous la bannière de Jacques Chirac. Patience camarades, lisez attentivement les deux derniers numéros de Lutte de classe [1] et votre rêve deviendra un cauchemar.

Vous pensez que les organisations trotskystes ont gagné 3 millions de voix et que cela signifie une radicalisation significative de l'électorat alors que Lionel Jospin, en perdant 2,5 millions de voix, fut massivement désavoué. LO vous ramène à la réalité : « La presse s'est empressée d'additionner ces voix pour constater qu'avec 2 973 383 voix et 10,44 % des suffrages exprimés, l'extrême gauche a fait une percée électorale sans précédent. D'autant plus remarquable qu'en même temps le score du PC est tombé à 3,37 %. Et de broder sur le thème de l'extrême gauche en passe de prendre la place d'un Parti Communiste moribond. Le sensationnalisme journalistique n'a cependant pas grand chose à voir avec la réalité politique. »

Vous avez compris camarades, tout est de la faute des journalistes ! Il existe un complot médiatique qui voudrait vous faire croire que les trotskystes représentent quelque chose dans ce pays. En vérité, notre score électoral est « du même ordre qu'en 1995 ». Nous n'avons progressé que de 14 493 voix. « L'extrême gauche [...] n'a pas gagné», car « il faut être capable d'aller à contre-courant, de résister aux pressions » d'un million six cent trente mille et quarante-cinq électeurs en notre faveur. Fuyez camarades, le nouveau monde est derrière vous !

Vous pensez que la défaite de la gauche gouvernementale n'est pas la vôtre, grave erreur camarades. LO vous encourage au défaitisme à la suite « du déclin du mouvement ouvrier politique, du découragement des militants et des adhérents du PC en particulier, dégoûtés, désorientés et poussés à l'abandon [...] ». Et, si vous avez encore un petit espoir en l'avenir, LO vous avertie que « Sur la base de résultats faibles pour les deux organisations, la LCR a obtenu des résultats légèrement supérieurs. Pour l'instant, les deux organisations sont trop petites, avec des capacités militantes trop réduites, pour pouvoir, dans le contexte social actuel, compenser de façon volontariste une évolution générale vers la droite et marquée surtout par un découragement profond dans l'électorat populaire. »

Mais courage camarades, car « nous avons bien du chemin à parcourir » avant de sortir de notre isolement et « mériter une influence stable sur une fraction significative du monde du travail aussi bien dans les entreprises que dans les quartiers populaires ». LO veut bien créer un parti, mais seulement quand il n'y aura plus d'exclus, plus de pauvres, plus de chômeurs, plus de travailleurs précarisés, plus de jeunes dans les banlieues, plus d'immigrés avec ou sans papiers et quand « le prolétariat voudra sortir du système ». LO sera prête quand les conditions objectives seront mûres, dans mille ans peut-être. D'ici-là, il faut s'accrocher camarades et « ne pas jeter l'éponge ».

Hélas, ce discours mortifère n'est pas nouveau [2]. Hardy (Robert Barcia, dirigeant de LO) dit en 1992 que Mai 68 « ne fut pas une crise sociale très profonde, même s'il y eut une grève générale. On a vu dans les entreprises ce que cela donnait. On a vu l'absence de détermination des gars. Aurions-nous été mille, cinq mille même, présents dans les boîtes, on n'en aurait rien tiré de plus. » Il poursuit : « Notre bilan est nul [...]. Nous sommes un petit groupe, et même pas un petit groupe. Nous ne sommes rien. [...] Implantés, nous ne le sommes dans aucune entreprise. Nous ne l'avons jamais été. Notre politique, notre stratégie a été de tenter d'être "présents" dans les plus grandes. [...] Depuis des années et des années, nous n'avons pas été en situation de déborder les organisations syndicales. Pas parce que nous sommes faibles. Mais parce que la combativité propre des travailleurs n'a pas dépassé ce que les bureaucrates pouvaient reprendre à leur compte. »

Vous voilà prévenus camarades, il ne s'est rien passé le 21 avril ! Les 3 millions d'électeurs, qui se sont déplacés – dans le contexte d'une abstention record – pour mettre dans l'urne le bulletin d'un candidat se réclamant du trotskysme, ne représentent rien. Nous ne méritons pas cette reconnaissance, car « seule une petite minorité » a réalisé « ce choix conscient ». En lui apportant son soutien, Madame de Fontenay a-t-elle compatie pour la pauvre Arlette qui porte sur ses épaules le fardeau de LO depuis 1974. Mais Arlette s'accroche, y compris sur les plateaux télés les plus racoleurs, car il faut tenir camarades puisque la situation est désespérée. Pas question de quitter un bateau qui coule. Que faire ? Rien ! Qui n'éprouve pas le vertige face au vide ? Certainement pas LO, qui use ses militants dans le refus obstiné d'apparaître comme une direction de rechange pour « ceux qui veulent changer radicalement la société ».

Serge LEFORT
31 juillet 2002


[1] Lutte de classe n°65, mai-juin 2002 et Lutte de classe n°66, été 2002.
[2] La suite de ce paragraphe est tirée de Christophe Nick, Les Trotskistes, Fayard, 2002 p.498 et 499.

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