Les élections, qui se sont déroulées en France du 21 avril au 9 juin 2002, revêtent une importance politique aussi essentielle qu'inédite. Le discrédit des partis de gauche et la démission des organisations d'extrême gauche, le soir du 21 avril, a créé un vide politique qu'il est urgent d'occuper avant que l'extrême droite national-populiste ne s'en empare.
La position des partis de gauche ne fut pas surprenante après 21 ans de participation au pouvoir. Le Parti socialiste, depuis sa refondation en 1971 sous la direction de François Mitterrand jusqu'à la démission brutale de Lionel Jospin en passant par son adhésion au néolibéralisme (le «tournant de la rigueur» de 1983), a simplement géré les affaires du capitalisme français. Le Parti communiste s'est aligné sur cette politique de collaboration de classe en échange de strapontins ministériels. Et, alors que les travailleurs ont massivement désavoué cette politique [1], le PS comme le PCF, pour éviter tout débat sur les raisons de leur échec, ont appelé à voter sans conditions pour Jacques Chirac.
La position des organisations d'extrême gauche, fortes de 3 millions de voix, fut dramatiquement démobilisatrice. D'abord, au lieu d'analyser ce vote comme le signe d'une radicalisation d'une partie de l'électorat, chaque organisation a fait les comptes de sa propre boutique [2]. Ensuite, au lieu de proposer une stratégie de rupture avec la gauche, les organisations trotskystes ont refusé d'assumer leurs responsabilités historiques. La Ligue communiste révolutionnaire a rejoint le camp du candidat de la droite, baptisé pour l'occasion le meilleur rempart contre l'extrême droite. Lutte ouvrière, après beaucoup d'hésitations et de tergiversations, a donné une consigne ambiguë qui abandonnait les travailleurs à un choix individuel.
Les organisations trotskystes avaient la légitimité politique, acquise dans les urnes avec 10,43 % des votes exprimés, et les moyens de mener une campagne offensive contre Le Pen et contre Chirac (les deux candidats de la réaction), d'organiser le boycott [3] du second tour de l'élection présidentielle et d'expliquer ce mot d'ordre :
Le Pen est présent au deuxième tour par défaut, c'est-à-dire non par une adhésion à ses slogans national-populistes, mais parce que Lionel Jospin a perdu 2,5 millions voix du fait de la politique anti-ouvrière du gouvernement de la «gauche plurielle».
L'extrême droite ne représente pas un danger réel, car Le Pen n'a progressé que de 234 200 voix par rapport à 1995 et il ne bénéficie pas d'une implantation sociale susceptible de renverser la tendance, c'est-à-dire l'impossibilité de l'emporter.
Jacques Chirac a instrumentalisé le thème de l'insécurité pour provoquer la peur des banlieues et apparaître comme l'homme providentiel, seul capable de rétablir « l'autorité de l'État ». Ne lui donnons pas les moyens de mener cette politique réactionnaire !
Face à Le Pen, Jacques Chirac est sûr de l'emporter avec les seules voix de droite. Chaque voix de gauche en faveur du candidat bourgeois, qui fuit la justice, crédibilise sa stratégie bonapartiste pour mener une politique antisociale. Non à Le Pen ! Non à Chirac !
La crise, qui secoue aujourd'hui les marchés financiers, est aussi celle de toutes les institutions mises en place pour contrôler l'anarchie du système et maîtriser ce que les réformistes du mouvement Attac appellent pudiquement les « abus » de l'économie néo-libérale. Ils sont en fait le résultat logique d'une économie-casino dans laquelle les flambeurs privatisent les gains et socialisent les pertes.
Le recul de Jean-Pierre Raffarin, qui a désavoué Francis Mer son ministre de l'Économie et des Finances devant la crainte d'une colère des couches populaires contre les hausses annoncées des tarifs d'EDF et de la Poste, illustre le vrai rapport de force entre une droite toute puissante au Parlement et les travailleurs – surtout les couches les plus opprimées : les immigrés, les jeunes condamnés aux emplois précaires et les exclus.
La question qui se pose, au lendemain d'une élection-plébiscite en faveur de Jacques Chirac à laquelle a contribué une gauche discréditée et une extrême gauche démissionnaire, est cruciale. Le terrain politique, laissé vide le 21 avril, ne le restera pas longtemps. Il est donc urgent que se constitue un Parti de gauche révolutionnaire qui représente les intérêts des travailleurs à l'échelle mondiale.
Serge LEFORT
25-27 juillet 2002
[1] Le PS a perdu 2,5 millions de voix, le PCF 1,6 millions de voix, les trotskystes ont gagné 3 millions de voix et, au total, les partis parlementaires ne représentent plus que 45,76 % des inscrits au lieu de 60,49 % en 1995.
[2] Pire encore, Lutte ouvrière refuse l'addition des voix d'extrême gauche en prétendant qu'elle serait une mystification des journalistes : «La presse s'est empressée d'additionner ces voix pour constater qu'avec 2 973 383 voix et 10,44 % des suffrages exprimés, l'extrême gauche a fait une percée électorale sans précédent. D'autant plus remarquable qu'en même temps le score du PC est tombé à 3,37 %. Et de broder sur le thème de l'extrême gauche en passe de prendre la place d'un Parti Communiste moribond. Le sensationnalisme journalistique n'a cependant pas grand chose à voir avec la réalité politique.» Lutte de classe n°65, mai-juin 2002.
[3] Appel du CIQI (WSWS).
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