24 novembre 2008

Version policière des «sabotages SNCF» (2)

L'hebdomadaire d'extrême droite, Valeurs actuelles, a repris la version policière titrée "Sous la menace de l'ultragauche".

"Terroristes d'ultra-gauche" : Comment justice et presse prennent le train de la police, Politis.
Après les sabotages de lignes TGV le 8 novembre dernier, neuf personnes, bien vite présentées comme des "anarchistes d’ultra-gauche" par les médias et la police, ont été placées en garde à vue. Mais aucun élément n’est venu prouver leur culpabilité et de nombreuses questions restent en suspens.

Dimanche 16 novembre, neuf membres présumés d’une « cellule invisible » qualifiée « d’ultra-gauche, mouvance anarcho-autonome » par la ministre de l’Intérieur, ont été mis en examen pour « destructions en réunion en relation avec une entreprise terroriste ». Quatre d’entre-eux ont été mis en liberté sous contrôle judiciaire et cinq incarcérés. Sans qu’il existe, en l’état actuel de l’enquête, la moindre preuve qu’ils aient de près ou de loin participé aux actes de malveillance qui avaient perturbé une semaine plus tôt le trafic des TGV Nord, Est et Sud-Est. Ce qui n’a pas empêché la plupart des médias de répéter les vraies-fausses informations répandues par les policiers pour accréditer l’existence d’un « groupe de terroristes », basé à Tarnac en Corrèze, en train de préparer des sabotages. Quelques informations méritent pourtant d’être examinées de plus près, d’autant qu’elles n’ont pas été répercutées par la presse.
[...]
Le 13 novembre, un représentant du Parquet de Paris a déclaré : « Les éléments recueillis ne permettent pas de les présenter comme coupables, le délit d’opinion n’est pas criminalisé en France ». Le procureur de Paris, sur instructions, a estimé le contraire. Au début de l’enquête, le 8 au matin, les gendarmes ont annoncé disposer d’empreintes et de traces ADN. Dimanche, elles n’existaient plus. Les mises en examen, comme l’expliquent les avocats, ont donc été essentiellement faites sur des présomptions puisqu’en l’état actuel de l’enquête, il n’existe aucune preuve. Mais il est vrai que des policiers ont confié aux journalistes à propos de Julien : « Vous savez, il est très intelligent ». Ce qui constitue sans aucun doute une circonstance aggravante.


Nous sommes tous des « anarcho-autonomes », Le Mague.
Serviles, les médias lâchent les freins et vont d’amalgames en amalgames. Tout est bon pour semer le trouble dans des esprits mal informés. Les « experts » sont appelés à la rescousse. On revient alors pêle-mêle sur l’action des antinucléaires contre un train de déchets radioactifs, sur les revendications de SUD Rail, sur les manifs anti G8 ou anti-CPE, sur les faucheurs d’OGM, sur la mobilisation contre le fichier EDVIGE, sur la sortie d’un mauvais film sur La Bande à Baader... La désinformation à Très Grande Vitesse est en marche pour justifier la mise à l’index de personnes soupçonnées d’avoir mis à bout de bras des tiges en ferraille sur les caténaires de lignes TGV (dans lesquels courent 25 000 volts…). En fait, au-delà de ces arrestations, c’est finalement tout le mouvement social qui est visé.
[...]
Comment se terminera ce stupide conte de la folie ordinaire ? En 2007, des actes
similaires avaient eu lieu. Les mêmes conneries avaient été dites, mais les mystérieux
coupables n’ont jamais été arrêtés. En 2008, rebelote avec cette fois une répression
Très Grande Vitesse. Que penser de tout ça ? Le pouvoir estime que des « pensées
radicales » sont incompatibles avec la « démocratie ». Nous voilà prévenus. Nous qui,
en maintes occasions, avons lutté, protesté, manifesté, pétitionné, collé des affiches,
fait grève, écouté des chansons et des poèmes rebelles, surfé sur des sites Internet
engagés, rencontré des militants allemands, irlandais, espagnols, américains,
africains… Autant d’actes qui peuvent nous rendre vite suspects.


Arrêtez-nous, nous sommes des terroristes de l’ultra-gauche !, Le Blog de l’ultra-gauche.
Nous aussi, nous avons manifesté dans notre vie,
Nous avons même manifesté contre la guerre et pour la paix dans le monde,
Certains d’entre nous ont même manifesté à l’étranger, et certains aux Etats-Unis,

Nous aussi, nous habitons ou aimerions habiter un village de 300 habitants,
Nous avons même imaginé vivre et habiter à la campagne et devenir épiciers,
Certains d’entre nous aimeraient reprendre une vieille ferme et planter des carottes,

Nous aussi avons des ordinateurs portables et des connexions Internets,
Nous avons même créé des blogs politiques et associatifs,
Certains d’entre nous connaissent même des sites libertaires ou anarchistes,

Nous aussi, nous possédons une carte des chemins de fer et destinations de la SNCF,
Nous avons, pour les plus jeunes, une carte 12-25 ans pour voyager moins cher,
Certains d’entre nous ont même été importunés par les voies ferrés dans leur promenade du dimanche,

Nous aussi, nous avons des livres à la maison,
Nous avons même des livres politiques qui expliquent comment renverser le système capitaliste,
Certains d’entre nous ont même écrit des livres subversifs expliquant comment organiser une action militante

Nous aussi, nous aimons la nature,
Nous avons même toutes et tous pensé faire de l’escalade pour profiter des paysages de montagne,
Certains d’entre nous ont même, dangereux qu’ils sont, des mousquetons et un casque d’escalade,

Nous aussi, nous sommes allés à l’école,
Nous avons même essayé de faire des études, voire beaucoup d’études,
Certains d’entre nous ont même obtenus leur diplôme BAC+5.


Fabrication d’épouvantails, mode d’emploi

Stupeur et consternation ! Les terroristes «d’ultragauche» accusés par la ministre de l’Intérieur d’avoir saboté des caténaires de TGV, vivaient paisiblement à Tarnac, petit village de Corrèze. Ils y tenaient même l’épicerie-bar. Les habitants du village expriment tout le bien qu’ils pensaient de leurs commerçants uniques. Qu’à cela ne tienne. Les journaux télévisés unanimes brodent sur la clandestinité du groupe, «qui avait balancé ordinateurs et téléphones portables». Une épicerie, peut-être, mais «une épicerie tapie dans l’ombre», précisa fort sérieusement un journaliste de France 2.

Le journalisme policier est un art difficile. Il ne s’agit pas seulement de recueillir les confidences des enquêteurs, et de tenter tant bien que mal de séparer infos et intox. Il faut encore leur donner la forme d’un roman conforme à ce qu’attendent, selon les cas, les lecteurs, la hiérarchie du journal, ou le ministère. D’où la fabrication ultrarapide «d’épicerie tapie dans l’ombre», d’un «commando» composé d’un «cerveau» et de «lieutenants» réfugiés dans un «QG» ou de «nihilistes potentiellement très violents».

Fabrication, ou résurrection ? Aux plus âgés d’entre nous (disons, les quadragénaires bien avancés) les journaux télévisés de la semaine dernière auront au moins rappelé leur jeunesse. Aux «prêcheurs barbus des caves», aux «gangs ethniques des banlieues», a en effet succédé une autre catégorie de «méchants», bien oubliée, «la mouvance anarcho-autonome». Et resurgissent pêle-mêle les fantômes des glorieux prédécesseurs de MAM, Michel Poniatowski (ministre de Giscard), ou même Raymond Marcellin, titulaire du poste sous Pompidou.

Dans ce concours de fabrication d’épouvantails, notre confrère du Figaro, Christophe Cornevin, se classe hors catégorie. Les ultraépiciers de Tarnac, aux yeux du Figaro, étaient «en totale rupture de ban avec la société», «embarqués dans un mode de vie altermondialiste, vivotant pour certains du négoce de produits agricoles, fuyant le regard des rares riverains qui les entouraient, ces apprentis terroristes de la gauche ultra présentaient un profil bien particulier. Agés de 25 à35 ans pour le plus âgé, ces nihilistes considérés comme «potentiellement très violents» étaient articulés autour d’un petit «noyau dur» d’activistes déjà fichés pour divers actes de violences et de dégradation. A priori, aucun d’entre eux ne travaillait. «Cela ne correspondait pas à leur philosophie», lâche un enquêteur. Les femmes de la bande, quant à elles, sont plus volontiers dépeintes sous les traits de "filles de bonne famille issues de la bourgeoisie de province". Un profil somme toute guère étonnant au regard de la jeune fille chic en Burberry qui répondait au nom de Joëlle Aubron à l’époque d’Action Directe».

Paresse, lâcheté, violence, trahison de sa classe d’origine : tous ces traits de caractères individuellement, sont inquiétants. Regroupés, ils composent un tableau terrifiant. Le lendemain, le titre d’un article du même journaliste nous apprend que «l’ADN est au cœur de l’enquête». Mais au cœur de l’article… rien sur les preuves ADN.

A croire d’ailleurs que la fabrication d’épouvantails médiatiques est une spécialité en soi. Une recherche au sujet de Christophe Cornevin dans le moteur Google, donne une idée de l’ampleur des compétences du confrère. «Une dizaine de lascars sont affalés sur les bancs de la salle des pas perdus de la 23e chambre correctionnelle, écrit le journaliste. Agés de 17 à 22 ans, ils sont dans leur écrasante majorité originaires d’Afrique noire» (7 septembre 2007, article intitulé «L’essor des gangs africains dominés par le vol et la violence»). «Les barbus s’activent derrière les barreaux», titre Le Figaro en septembre. Détails : «Ces religieux clandestins se sont radicalisés en surfant sur Internet, confie un haut responsable de l’AP. Ils distillent des fragments de sourates pouvant faire référence à la violence et reprennent un discours moyenâgeux pour convertir leurs compagnons de cellule.»

Mais lorsque la tendance des épouvantails vire au modèle «trader fou», notre artisan sait aussi se reconvertir, comme dans cette description balzacienne des objets saisis lors d’une perquisition chez l’ancien trader de la Société générale Jérôme Kerviel : «Sur une table placée aux abords de l’impressionnant écran plat qui trône dans la pièce principale, ils ont notamment trouvé deux téléphones portables, un livre de réglementation bancaire, un numéro de la revue Investir intitulé «Comment s’enrichir en 2008», une canette entamée, une boîte de cigares Monte-Cristo et un exemplaire du Coran comprenant une version arabe et sa traduction en français.»

Ça ferait rire, si ça ne faisait pas peur. Ça ferait peur, si ça ne faisait pas rire.

Daniel Schneidermann
17/11/2008
Publié par Libération.

Terrorisme ou tragi-comédie

A l’aube du 11 novembre, 150 policiers, dont la plupart appartenaient aux brigades antiterroristes, ont encerclé un village de 350 habitants sur le plateau de Millevaches avant de pénétrer dans une ferme pour arrêter 9 jeunes gens (qui avaient repris l’épicerie et essayé de ranimer la vie culturelle du village). Quatre jours plus tard, les 9 personnes interpellées ont été déférées devant un juge antiterroriste et «accusées d’association de malfaiteurs à visée terroriste». Les journaux rapportent que le ministre de l’Intérieur et le chef de l’Etat «ont félicité la police et la gendarmerie pour leur diligence». Tout est en ordre en apparence. Mais essayons d’examiner de plus près les faits et de cerner les raisons et les résultats de cette «diligence».

Les raisons d’abord : les jeunes gens qui ont été interpellés «étaient suivis par la police en raison de leur appartenance à l’ultra-gauche et à la mouvance anarcho autonome». Comme le précise l’entourage de la ministre de l’Intérieur, «ils tiennent des discours très radicaux et ont des liens avec des groupes étrangers». Mais il y a plus : certains des interpellés «participaient de façon régulière à des manifestations politiques», et, par exemple, «aux cortèges contre le fichier Edvige et contre le renforcement des mesures sur l’immigration». Une appartenance politique (c’est le seul sens possible de monstruosités linguistiques comme «mouvance anarcho autonome»), l’exercice actif des libertés politiques, la tenue de discours radicaux suffisent donc pour mettre en marche la Sous direction antiterroriste de la police (Sdat) et la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Or, qui possède un minimum de conscience politique ne peut que partager l’inquiétude de ces jeunes gens face aux dégradations de la démocratie qu’entraînent le fichier Edvige, les dispositifs biométriques et le durcissement de règles sur l’immigration.

Quant aux résultats, on s’attendrait à ce que les enquêteurs aient retrouvé dans la ferme de Millevaches des armes, des explosifs, et des cocktails Molotov. Tant s’en faut. Les policiers de la Sdat sont tombés sur «des documents précisant les heures de passage des trains, commune par commune, avec horaire de départ et d’arrivée dans les gares». En bon français : un horaire de la SNCF. Mais ils ont aussi séquestré du «matériel d’escalade». En bon français : une échelle, comme celles qu’on trouve dans n’importe quelle maison de campagne.

Il est donc temps d’en venir aux personnes des interpellés et, surtout, au chef présumé de cette bande terroriste, «un leader de 33 ans issu d’un milieu aisé et parisien, vivant grâce aux subsides de ses parents». Il s’agit de Julien Coupat, un jeune philosophe qui a animé naguère, avec quelques-uns de ses amis, Tiqqun, une revue responsable d’analyses politiques sans doute discutables, mais qui compte aujourd’hui encore parmi les plus intelligentes de cette période. J’ai connu Julien Coupat à cette époque et je lui garde, d’un point de vue intellectuel, une estime durable.

Passons donc à l’examen du seul fait concret de toute cette histoire. L’activité des interpellés serait à mettre en liaison avec les actes de malveillance contre la SNCF qui ont causé le 8 novembre le retard de certains TGV sur la ligne Paris-Lille. Ces dispositifs, si l’on en croit les déclarations de la police et des agents de la SNCF eux-mêmes, ne peuvent en aucun cas provoquer des dommages aux personnes : ils peuvent tout au plus, en entravant l’alimentation des pantographes des trains, causer le retard de ces derniers. En Italie, les trains sont très souvent en retard, mais personne n’a encore songé à accuser de terrorisme la société nationale des chemins de fer. Il s’agit de délits mineurs même si personne n’entend les cautionner. Le 13 novembre, un communiqué de la police affirmait avec prudence qu’il y a peut-être «des auteurs des dégradations parmi les gardés a vue, mais qu’il n’est pas possible d’imputer une action à tel ou tel d’entre eux».

La seule conclusion possible de cette ténébreuse affaire est que ceux qui s’engagent activement aujourd’hui contre la façon (discutable au demeurant) dont on gère les problèmes sociaux et économiques sont considérés ipso facto comme des terroristes en puissance, quand bien même aucun acte ne justifierait cette accusation. Il faut avoir le courage de dire avec clarté qu’aujourd’hui, dans de nombreux pays européens (en particulier en France et en Italie), on a introduit des lois et des mesures de police qu’on aurait autrefois jugées barbares et antidémocratiques et qui n’ont rien à envier à celles qui étaient en vigueur en Italie pendant le fascisme. L’une de ces mesures est celle qui autorise la détention en garde à vue pour une durée de quatre-vingt-seize heures d’un groupe de jeunes imprudents peut-être, mais auxquels «il n’est pas possible d’imputer une action». Une autre tout aussi grave est l’adoption de lois qui introduisent des délits d’association dont la formulation est laissée intentionnellement dans le vague et qui permettent de classer comme «à visée» ou «à vocation terroriste» des actes politiques qu’on n’avait jamais considérés jusque-là comme destinés à produire la terreur.

Giorgio Agamben
19/11/2008
Traduit de l’italien par Martin Rueff.
Publié par Libération.

Écouter :
Eric Hazan, interview (I), interview (II), interview (III), Mediapart - Dailymotion.

Lire :
• Dossier "mouvance anarcho-autonome", Infokiosques.net.
• Articles "Anarcho-autonome", WordPress.
• Les «anarcho-autonomes», le fantasme du réseau et la réalité des écrits, Médiapart - Le Blog de l’ultra-gauche.
Julien Coupat n'est pas un "terroriste", Betapolitique.
• Quand Cantat chante, Le Monolecte.
• Action directe : justice sans fin, Le Monde diplomatique.
Les propos d'Alexandre Adler dans les colonnes du Figaro, qui comparent le NPA (Nouveau parti anticapitaliste de Besancenot) au NSDAP (Parti national-socialiste des travailleurs allemands de Hitler) sont sidérants :
La responsabilité principale de l’ascension de Hitler vient des élites conservatrices catholiques et protestantes : malgré la répulsion que leur inspirait le nazisme, de temps à autre, ces élites inconsolables de l’Empire de Guillaume II ne pouvaient s’empêcher de tenir les nazis pour des patriotes, certes un peu vulgaires et excités. (…) Cette même baisse des défenses immunitaires existe aujourd’hui à gauche. (…) Tant que les dirigeants du Parti socialiste se donneront tort de leur effective modération, ils considéreront Besancenot et la théorie de petites brutes imbéciles qui font masse autour de lui comme des représentants plus purs et plus intègres des idées qu’ils défendaient dans leur jeunesse. Si nous voulons éviter que la crise nous confronte bientôt à un parti social fasciste de masse, aux connotations manifestement antisémites, c’est au Parti socialiste, en première ligne, de réagir énergiquement. (…) S’il manque à son devoir, l’explosion est à brève échéance. (Le Figaro, 4 octobre 2008).

• Michèle Alliot-Marie et la menace terroriste, Les blogs du Diplo.
• Islam : L’ennemi fabriqué, Silvia Cattori.
• La « bande » a bon dos - Un nouveau pétard mouillé pour justifier les lois liberticides, Solidarité avec les 5 solidaires.

Aucun commentaire: