Très traditionnellement, la guerre nécessite une consommation considérable de mensonges et de zone de silence pour son entretien. Leur mise à nu fournit souvent un éclairage précieux vers la vérité. De cette violence crue du mensonge asséné avec l’aplomb tranquille de l’évidence, nul meilleur exemple que la volte face du président de la République sans autre argumentation que la force de l’affirmation. Le 26 avril 2007, entre les deux tours de la présidentielle, sur France 2, il déclare : « La présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive. Si je suis élu, les troupes françaises quitteront l’Afghanistan ». Puis en novembre 2007, au cours de sa visite à Washington, il affirme: « la France restera engagée en Afghanistan aussi longtemps qu’il le faudra, car ce qui est en cause dans ce pays, c’est l’avenir de nos valeurs et celui de l’Alliance Atlantique ».
Les Etats-Unis et la France sont allés « en Afghanistan pour défendre la liberté du monde » ? C’est ce que proclame Nicolas Sarkozy,le 20 août à Kaboul et le 21 août en Conseil des ministres. Personne n’a pourtant jamais démontré de lien positif entre les actes de guerre de la coalition en Afghanistan et la « liberté du monde ». Sans excès de mauvais esprit, on pourrait même aisément démontrer l’inverse, à savoir que c’est l’intensification des actes de guerre de la coalition qui nourrit le terrorisme et fait reculer la liberté.
Une bonne preuve de l’effet d’opportunité qui a été à l’origine de l’invasion militaire de l’Afghanistan est qu’elle a été préparée par les Américains et les Britanniques plusieurs mois avant le 11 septembre. Dès l’été 2001, les Américains avaient commencé à envoyer des commandos en Afghanistan et avaient pré positionné d’importantes forces en Egypte tout en déployant avec les Britanniques leurs flottes en mer d’Oman pour préparer l’invasion du pays. Les vrais motifs de l’invasion étaient donc ailleurs que dans la réplique à Oussama Ben Laden, qui n’avait d’ailleurs d’autres lien avec l’Afghanistan que de s’y être réfugié dans les montagnes. Mais qui se souvient que le régime taliban qui gouvernait à l’époque à Kaboul avait déclaré accepter au lendemain du 11 septembre de livrer Ben Laden pour qu’il soit jugé. Peu importait alors aux Américains. Colin Powell affirme alors au monde entier que les Etats-Unis détiennent des preuves de l’implication afghane dans les attentats du 11 septembre et qu’elles seront fournies au Conseil de sécurité. Personne ne les a pourtant jamais vues. Personne ne les réclame depuis. Ce tableau est donc couvert d’une ombre inquiétante depuis l’origine. En effet, les Américains sont très actifs en Afghanistan et au Pakistan depuis la fin des années 1970. Ils se sont fortement appuyés sur les islamistes pour contrer l’influence soviétique dans la région. C’est eux qui ont constitué « Al-Qaïda » à l’époque pour combattre les russes. A ce titre, ils avaient directement armé les Talibans. La prise de pouvoir de ceux-ci à Kaboul en 1996 avait été soutenue par deux alliés de poids des Etats-Unis : l’Arabie Saoudite et le Pakistan.
Les affrontements qui ont coûté la vie à 10 soldats français le 18 août sont très révélateurs de cette dégradation : ils ont démontré une puissance tactique et opérationnelle inédite de ce que les généraux français appellent désormais les « forces insurgées » plutôt que les « Talibans ». Ces forces ont en effet soutenu les combats pendant plusieurs heures contre les soldats français, y compris une fois des renforts parvenus sur place. Le lieu est aussi révélateur : à moins de 50 kilomètres de Kaboul, c’est-à-dire dans une zone qui n’est pas du tout réputée comme "talibane". Tout cela indique que l’opposition armée à la coalition est manifestement en train de s’élargir dans une dynamique nationaliste que nourrit l’occupation. Est-ce étonnant ? Car afin de minimiser ces pertes au sol, la coalition intensifie les frappes aériennes dites « chirurgicales » et les vols incessants d’intimidation au dessus des villages afghans dont la population est plongée dans la terreur. La polémique enfle aussi sur les armes « sales » qu’utiliseraient les américains: munitions à uranium appauvri pour percer d’éventuels bunkers ou parois montagneuses et bombes incendiaires au phosphore qui transforment en fournaise les zones où elles sont lâchées. Ces exactions déclenchent des rejets de masse dans la population que les Occidentaux sont censés aider.
Depuis 2001, à intervalles réguliers, des conférences internationales pour l’Afghanistan permettent aux occidentaux d’afficher de gigantesques promesses de dons pour la reconstruction. Mais sur les 25 milliards de dollars de promesses cumulées, 10 milliards n’ont jamais été versés, les Etats-Unis détenant le record de promesse non tenue (seule 45 % de l’aide américaine promise a été versée). Et encore, quand l’aide est versée, 40 % est engloutie dans sa gestion et revient donc aux pays donateurs, sous la forme de contrats de sécurité ou de services. Le déséquilibre entre l’effort militaire et l’aide civile est donc béant : depuis 2001 140 milliards de dollars ont déjà été dépensés sur le plan militaire et seulement 7 milliards versés pour l’aide civile ! Cela décrédibilise largement la présence « occidentale » aux yeux de la population. Ce n’est pas tout. 7 ans d’occupation ont progressivement polarisé l’économie afghane autour des besoins des occidentaux présents qui concentrent l’essentiel des investissements, au détriment du développement économique du pays. Celui-ci ne produit plus rien d’autre que de l’opium. Alors que la production de pavot avait commencé à décliner à l’époque des Talibans, l’Afghanistan est redevenu depuis 2004 le premier producteur mondial d’opium avec 95 % de la production mondiale représentant plus de la moitié du PIB du pays. Un record historique a été atteint en 2006 avec la plus grande production d’opium jamais réalisée, encore dépassée en 2007 où l’ONU parle de « nouveau record effrayant » avec une hausse de production de 34 %. Il faut dire que les Américains ont directement utilisé les chefs de guerre, barons de la drogue, pour reprendre les territoires contre les talibans. Ce sont ainsi dans les zones « sécurisées » par les occidentaux et les forces afghanes que la culture de drogue a explosé.
Les perspectives actuelles de fin du conflit sont si incertaines que le chef d’état major des armées le général Georgelin le qualifiait encore à la mi-mars de « merdier ingérable où nous n’avons aucun intérêt à nous impliquer davantage » (cité par le canard enchaîné). Tous les états-majors ont en effet à l’esprit le précédent de l’occupation soviétique de l’Afghanistan qui s’était soldée par un désastre et plus de 10 000 russes tués en dépit d’une présence de 130 000 hommes pendant 10 ans. Interrogé le 26 août à l’assemblée nationale sur les échéances de l’engagement des forces françaises, Kouchner a carrément avoué : « pour combien de temps ? Personne ne le sait » Pour rassurer l’opinion, le gouvernement insiste aussi sur « l’afghanisation du conflit » qui serait à portée de main. Ainsi, d’après Kouchner, « l’armée afghane c’est l’avenir » ! La réalité est très éloignée. Un évènement récent a fourni la preuve de la déliquescence de l’ « armée nationale afghane » : en mars 2008, le gouvernement afghan a dû lancer un mandat d’arrêt contre le chef d’état major de l’armée afghane, le général Dostom, après que celui-ci a commis diverses exactions. Loin de se soumettre au gouvernement, celui-ci s’est enfui et a rejoint son armée privée, qui était d’ailleurs une des composantes de la fameuse « armée nationale afghane ». Ancien seigneur de la guerre, ce général avait d’ailleurs été imposé par les Américains en 2003 comme vice ministre de la défense puis comme chef d’état major afghan en 2005 ! Le bilan de l’afganisation de la guerre n’est donc jamais fait. Mais on comprend cette fois ci clairement pourquoi. Cette guerre ne se fait pas « avec » les afghans mais contre eux.
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