4 octobre 2008

Le long déclin des USA

KRUGMAN Paul, Au bord du gouffre, ContreInfo
Il devient de plus en plus évident que cet effondrement de la finance se propage sur Main Street. Les petites entreprises ont du mal à lever des fonds et se voient couper leurs lignes de crédit. Les chiffres de l’emploi et de la production industrielle se sont fortement aggravés, ce qui suggère qu’avant même la chute de Lehman l’économie, déjà en ralentissement depuis l’an dernier, était en chute libre.

La Chambre va probablement voter vendredi sur la dernière version du plan de sauvetage. A l’origine, c’était le plan Paulson, puis c’est devenu le plan Paulson Dodd-Frank. Désormais il faudrait sans doute écrire le plan Paulson-Dodd-Frank-Clientèlisme (la dernière version contient encore plus de cadeaux fiscaux que la précédente).

Le plan Paulson a clairement été rédigé dans la précipitation et la confusion. Et les fonctionnaires du Trésor n’ont toujours pas fourni d’explication claire sur la façon dont ce plan est censé fonctionner. Sans doute parce qu’ils n’ont eux-mêmes aucune idée de ce qu’ils font.

La solution à nos difficultés économiques devra d’abord passer par un sauvetage du système financier bien mieux conçu. [...] Il est pourtant difficile d’imaginer que l’administration Bush franchisse ce pas.

Nous avons également désespérément besoin d’un plan de relance économique pour lutter contre la baisse de la consommation et de l’emploi. [...] Il est difficile d’imaginer que l’administration Bush sur le départ crée une agence chargée de grands travaux à l’image de ce qu’avait fait Roosevelt.

Si l’élection n’est plus éloignée que de 32 jours, il faudra cependant près de quatre mois jusqu’à ce que la prochaine administration entre en fonction. Bien des choses peuvent - et vont sans doute - mal se passer durant ces quatre mois.

Publication originale New York Times - International Herald Tribune.
Article commenté par Dedefensa.

Commentaires : Ce professeur d’économie défend le plan Paulson, mais regrette seulement la lenteur de réaction de l'administration pour sauver Wall Street avec l'argent des travailleurs américains et des autres pays (grâce à l'exportation de la dette).
C'est un des rares analystes des médias dominants qui soulignent que la crise financière s'accompagne d'une crise politique, mais il se garde bien de remettre en cause la politique militaire des États-Unis en Irak et en Afghanistan qui amplifie les crises.


GOLUB Philip S., Le long déclin, Alternatives International
Les Etats-Unis ont en général agi depuis 1945 de façon non prédatrice en Europe. Ils y ont assumé un rôle hégémonique, suivant la définition gramscienne, plutôt qu’impérialiste, c’est-à-dire le rôle d’un acteur central dans un ordre interétatique hierachisé mais caractérisé pour l’essentiel par la coopération et le consentement. Hautement institutionnalisé avec les Etats-Unis à son sommet, l’ordre translatlantique post-1945 se distinguait en ligne générale par la mutualisation des intérêts de ses différentes composantes, les élites des Etats subordonnés étant plutôt consentantes face à une autorité jugée légitime et leur fournissant des biens publics internationaux : paix, sécurité et stabilité économique.

Le premier cycle : imbrications impériales et pulsions impérialistes L’expansionnisme américain s’inscrit dans le mouvement général d’expansion occidentale et dans les rythmes de la transformation capitaliste glocale du XIXe et du XXe siècles.

L’expansionnisme territorial et commercial des Etats-Unis a débouché à la fin du XIXe siècle à une forte pulsion impérialiste. [...] Brooks Adams, personnage influent partisan d’un empire américain mondial, estimait que « l’impérialisme était la passion la plus noble qui ait jamais enflammé l’esprit humain » et prévoyait, avec raison, que les Etats-Unis allaient bientôt obtenir la « suprématie » économique et commerciale mondiale. Selon la formule d’un journaliste de premier plan : « Nous sommes une grande république impériale destinée à exercer une influence déterminante sur l’humanité et à façonner l’avenir du monde comme aucune autre nation, y compris l’empire romain, ne l’a jamais fait ».

Le deuxième cycle : supplanter la Grande-Bretagne et l’Europe Là où les élites étatsuniennes ont divergé n’était pas sur la question de savoir si l’empire international était souhaitable ou non (car pour la majorité écrasante il l’était), mais sur la question de savoir s’il fallait l’établir en partenariat avec l’empire britannique ou tout seuls. [...] Le centre de gravité économique du monde se déplaçait vers les Etats-Unis qui assuraient en 1900 environ 23,5% de la production manufacturière du monde (pour la Grande-Bretagne : 18,5%) et qui pouvaient se vanter d’un PNB équivalent à celui de la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne réunies.

La première guerre mondiale, la dépression mondiale du début des années 1930, la formation de blocs protectionnistes et l’effondrement du commerce international ont ouvert la voie à la deuxième guerre et à l’émergence, selon l’expression de Karl Polanyi, de « nouveaux empires dans une mer de sang ». Les contours du nouvel empire américain – empire mondial de capital soutenu par une structure militaire planétaire – étaient devenus apparents avant même l’entrée des Etats-Unis en guerre en 1941.

Les Etats-Unis ont ainsi soutenu pendant un temps certains Etats impériaux européens en les intégrant dans des sphères régionales de gestion du nouveau système mondial. [...] Dans le même temps, les Etats-Unis fixaient des limites strictes à l’action souveraine des Etats impériaux européens. Lors de la crise de Suez de 1956, ils ont signifié à la Grande-Bretagne et à la France les limites précises de leur autonomie d’après-guerre.

Les Etats-Unis ont, tout au long de la guerre froide, cautionné de façon consistante l’autoritarisme ou même le despotisme chez leurs Etats-clients et leurs protectorats extra-européens. Si la Pax Americana a encouragé et soutenu le pluralisme politique en Europe (la Grèce, l’Espagne et le Portugal étant des exceptions notables), dans les tiers-mondes elle a préféré s’appuyer sur des dictatures et des régimes autoritaires.

Depuis la deuxième guerre mondiale le Golfe arabo-persique a joué un rôle de plus en plus important dans la Pax Americana. [...] Aujourd’hui, le Golfe arabo-persique est devenu une des clés de voûte de l’édifice impérial, comparable à l’Inde pour l’empire britannique. Cela ne veut pas dire que le pétrole constitue la seule variable explicative de l’aventure coloniale désastreuse de l’administration Bush en Irak : l’invasion et l’occupation de ce pays faisait partie d’un effort beaucoup plus ambitieux pour établir un ordre mondial sous le contrôle disciplinaire exclusif des Etats-Unis.

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