2 octobre 2008

Crise financière : manipulation gouvernementale ?

Evolution Euro/Dollar sur 5 ans

Source : Yahoo! Finance


WEBER Henri , Tsunami financier : la réplique idéologique, Le Monde
La cause première, quoique lointaine, de la crise financière et économique que nous vivons est idéologique : à la fin des années 1970, l'idéologie libérale, longtemps discréditée et marginalisée après la Grande Dépression des années 1930, a fait un retour en force. Milton Friedman, Friedrich Hayek ont évincé Keynes et sa descendance dans la pensée économique dominante. La critique de la faillite de l'Etat et de sa bureaucratie l'a emporté sur la critique des carences du marché. Dans sa forme moderne, le néolibéralisme repose sur deux postulats : le premier affirme que le libre jeu des marchés permet la meilleure allocation des ressources et la croissance optimale de l'économie. Le second, que les marchés sont doués de capacités autorégulatrices qui rendent l'intervention de la puissance publique dans la vie économique, non seulement inutile, mais encore nuisible.

C'est au nom de ces croyances que les néolibéraux ont prêché depuis trente ans le retrait de l'Etat de la vie économique et sociale, son repli sur ses fonctions régaliennes de maintien de la sécurité intérieure et extérieure. C'est en son nom qu'ils ont prôné la privatisation des services publics et l'extension des rapports marchands au maximum de secteurs d'activité.

Trente années de déréglementations, libéralisations, dérégulations, sous la houlette des Etats-Unis et des grandes multinationales, débouchent aujourd'hui sur la crise économique la plus grave que le capitalisme ait connue depuis 1929.

Aujourd'hui, pour éviter l'effondrement, les gouvernements occidentaux nationalisent massivement les pertes et font payer aux contribuables les centaines de milliards de dollars dilapidés par les petits génies de la finance. Le mythe libéral des capacités autorégulatrices des marchés en a pris un coup. Son corollaire de l'indispensable désengagement de l'Etat, aussi.

Les libéraux apparaissent pour ce qu'ils sont : des idéologues qui stigmatisent l'intervention de l'Etat en période de vaches grasses, mais qui exigent au contraire son secours massif dès que se lèvent les tempêtes que leurs politiques ont contribué à déclencher.

Commentaires : Weber écrit aussi «Les socialistes français n'ont jamais partagé ce credo. Ils n'ont jamais cru que les marchés étaient toujours mieux avisés que les politiques, les chefs d'entreprise toujours plus intelligents que les fonctionnaires. [...] Ceux qui leur reprochaient, contre toute évidence, de rejeter l'économie de marché, leur reprochaient en réalité de rejeter les postulats du néolibéralisme et les politiques qui en découlent.»
Le «contre toute évidence» signifie que les socialistes ne rejettent pas l'économie de marché. S'ils en dénoncent aujourd'hui les excès, ils oublient de dire qu'ils sont responsables de la victoire du néolibéralisme grâce à leur alignement politique sur la loi du marché à partir de mars 1983.


Crise financière : manipulation gouvernementale ?

Source : Agoravox TV - Dailymotion


SAPIR Jacques, Une décade prodigieuse - La crise financière entre temps court et temps long, Revue de la régulation
La crise financière, rampante depuis l’été 2007, a connu un tournant majeur entre le dimanche 14 septembre et le vendredi 26 septembre 2008. L’accélération brutale des événements en a changé qualitativement la nature. On est ainsi passé du stade d’un nouveau choc dans le système bancaire et financier américain (la faillite de Lehman Brothers) au constat public de la fin de l’hégémonie financière américaine qui datait depuis 1945, en passant par l’évocation du spectre d’un effondrement total du système bancaire comme en 1929. Ces journées dramatiques constituent un de ces « moments » historiques où sont testées tout autant les stratégies que les doctrines et les théories qui les sous-tendent.

La décision des autorités américaines de créer une gigantesque caisse de défaisance est survenue bien plus tard qu’il n’eut fallu. Elle n’a pas mis fin à la crise car elle a révélé une crise de direction majeure au sein du gouvernement et des élites américaines. On voit alors apparaître des pathologies décisionnelles et informationnelles similaires à celles de l’Art de la Guerre.

Les journées de septembre doivent donc être aussi envisagées du point de vue d’une théorie de la décision. La désorganisation du système décisionnelle américain apparaît comme un élément objectif aussi important les institutions du marché financier ou les transformations des institutions concernant le commerce international et la gestion du salariat aux Etats-Unis, qui ont permis à une situation d’insolvabilité majeure des ménages de se développer.

Cette crise n’est pas un accident financier de plus, et de trop. Elle traduit une crise profonde du régime de croissance américain tel qu’il s’était développé depuis les années 1980 et 1990 tout en produisant en Europe des clones tels l’Espagne, la Grande-Bretagne ou l’Irlande. Mais, cette crise montre aussi que les dynamiques du temps court, celles de l’événement, sont tout aussi importantes que les dynamiques du temps long, celui des structures des appareils productifs et de l’évolution des institutions, que les économistes régulationnistes affectionnent. Les économistes hétérodoxes doivent affronter le défi de formuler une théorie de la décision individuelle qui fonde en microéconomie leurs analyses macroéconomiques. Il faut pouvoir analyser le temps court ou se taire.


La crise financière : entretien avec Michel Aglietta réalisé par Louis Weber, Fondation Copernic
La crise actuelle révèle des changements structurels du capitalisme. Les banques d’affaires et les agences de notation ont réduit leur « aversion au risque » dans un contexte marqué par une abondante épargne mondiale. La titrisation des créances, dont Michel Aglietta décrit ici les mécanismes, traduit une accélération de ce processus, générateur de profits bancaires démesurés. Mais le retournement sur le marché immobilier a provoqué une crise qui menace le système d’effondrement. Michel Aglietta plaide pour que toutes les institutions de crédit, et pas seulement les banques, soient soumises au contrôle des banques centrales. Mais cela ne sera pas possible sans une impulsion politique en ce sens.

Commentaires : Rien d'étonnant qu'un partisan de la régulation du capitalisme soit interrogé par un membre d'ATTAC, qui prône comme le PS et le PC... un aménagement moral du système.


WIEVIORKA Michel, L’Etat guerrier, l’Etat financier... à quand l’Etat social ?, Eco89
Puis sont venus les signes avant-coureurs de la crise financière actuelle, et cette crise elle-même. Avec une première conséquence, spectaculaire : le retour de l’Etat, là aussi, mais cette fois, dans ses dimensions économiques. Tout le monde le constate, l’Etat se présente comme le sauveur suprême, le seul recours capable, peut-être, d’enrayer les logiques de la catastrophe qui se profile. Le discours néo-libéral, de fait déjà bien affaibli depuis l’éclatement des premières « bulles » ou les scandales comme celui d’Enron, n’est plus seulement critiqué par l’altermondialisme, le gauchisme ou des pans entiers de la pensée de gauche (sauf quand elle se dit « libérale ») : il est rejeté de toutes parts.

Commentaires : Ce plaidoyer pour le retour d'un Etat social (Etat protecteur) n'analyse pas les responsabilités de la gauche (PS et PCF) face à «l’inquiétude, l’angoisse, et le sentiment d’impuissance» qui domine aujourd'hui après avoir fait le lit du néo-libéralisme dans les années 80.


EICHENGREEN Barry, Retour en 1929 ?, Telos
Qelle que soit sa forme définitive, le Plan Paulson n’éteindra pas à lui seul l’incendie.. Les conséquences de la crise sont clairement passées de Wall Street à Main Street, de la bourse à l’économie réelle. Les performances récentes des actions non financières montrent que les investisseurs en sont bien conscients.

Les comparaisons avec la Grande Crise, qui avaient jusqu’ici quelque intérêt académique mais peu de pertinence pratique, reviennent donc en force. Certaines ont du sens, les autres ne servent qu’à faire les gros titres des journaux.

Il est plus difficile aujourd’hui d’absorber le choc, parce qu’il s’est produit à l’intérieur même du système financier. Des effets de levier excessifs, une grande opacité, et une prise de risque au sein même du secteur financier sont parmi les causes principales du problème actuel. On a certes assisté à un effondrement du marché immobilier, mais contrairement aux années 30, il n'y a pas eu d'effondrement général des prix et de l'activité économique. Les faillites d'entreprises sont restées relativement stables, ce qui a grandement contribué dans un premier temps à maintenir en vie le système financier. Mais cela rend aussi le problème plus difficile à résoudre : puisqu’il n'y a pas eu d'effondrement des prix et de l'activité économique, nous ne pourrons pas cette fois-ci sortir de la crise par la croissance ou l’inflation, comme cela fut le cas après 1933.


DESMEDT Ludovic, En 1721, Londres victime de la première bulle boursière, Le Monde
Lorsque Swift débute la rédaction des Voyages de Gulliver, la Grande-Bretagne vit le gonflement puis l'éclatement de la "bulle" des mers du Sud : les changements d'échelle du personnage principal rappellent l'accroissement démesuré puis la miniaturisation des richesses dans un monde peu habitué à ce genre de fantaisie. Cet épisode a marqué l'esprit des contemporains et, si la crise actuelle doit être distinguée de celle de 1929, on peut rappeler comment celle qui toucha la Bourse de Londres, il y a trois siècles, a imprégné l'imaginaire occidental.

Créée en 1711, la South Sea Company est impliquée dans le commerce colonial (esclaves, principalement) et gérée de manière assez sage jusqu'en 1719. L'année suivante, les Communes et les Lords acceptent la conversion de la dette publique en actions. La compagnie fait dès lors l'objet d'une spéculation massive : on évoque une "bulle" (le terme bubble désignant toute tromperie et, par extension, les entreprises malsaines ou spéculatives).

Au moment du gonflement de la bulle, on demanda à Isaac Newton, qui occupait le poste de maître de la monnaie de Londres, ce qu'il pensait de l'avenir du titre de la SSC, le grand savant répondit qu' il "pouvait calculer les mouvements des corps célestes, mais pas la folie des gens"...


La crise financière, C dans l'air - France 5

GUILLON Claude, Le leurre et l'argent du leurre, Site de l'auteur
Troisième chapitre du livre De la révolution - 1989 : l’inventaire des rêves et des armes, Éditions Alain Moreau, 1988 (épuisé).

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