9 octobre 2008

World Policy Conference à Evian (suite)

L'ami Sarko, RIA Novosti
Dmitri Medvedev a obtenu contre toute attente le soutien de Nicolas Sarkozy à son idée de réforme du système de la sécurité européenne, lit-on jeudi dans les quotidiens Gazeta.ru et RBC Daily.

Les deux leaders ont fait chacun un discours-programme lors de la conférence d'Evian (World Policy Conference). Les experts font remarquer que les intérêts de la Russie et de l'UE sont objectivement les mêmes, mais soulignent que le sommet n'a proposé aucune solution concrète vis-à-vis des problèmes internationaux.

Les cinq principes de Medvedev concernant un nouvel accord sur la sécurité européenne, qui devrait remplacer l'Acte final de la Conférence d'Helsinki de 1975, reflètent manifestement la conception du monde multipolaire propre au Kremlin. Leur idée essentielle est qu'aucun Etat ne possède de droits exclusifs concernant le maintien de la sécurité en Europe, mais que tous ceux qui partagent ces principes doivent renoncer à résoudre les problèmes par des conflits militaires et à participer à des alliances militaires qui menacent d'autres pays.

Dans un discours passionné, juste après celui du président russe, Nicolas Sarkozy a soutenu certaines des idées de Medvedev. En outre, pendant toute la durée de son intervention, le président français a semblé répondre à son homologue russe, en entamant une phrase sur deux par "Cher Dmitri".

Cette attitude bienveillante du président français n'a cependant pas surpris les experts. Sarkozy tente de "s'emparer du leadership intellectuel des Etats-Unis", et Medvedev est son principal allié en ce sens, indique Fedor Loukianov, rédacteur en chef du magazine "Rossiïa v globalnoï politike" ("La Russie dans la politique globale").

Selon M. Loukianov, le président russe a employé un ton très juste, en proposant de réfléchir conjointement sur les mesures à prendre face à la crise financière et en faisant des propositions concrètes sur la sécurité européenne. "Le monde est tellement embrouillé que tous en ont par-dessus la tête des critiques improductives. Et les propositions de Medvedev ont le mérite de faire avancer les choses ne serait-ce qu'un peu", fait-il remarquer.

"Il nous faut un nouveau Ialta en politique et un nouveau Bretton Woods en économie. Bien sûr, il est impossible de sauver le système avec ces cinq points, mais il faut voir derrière les phrases générales du discours une invitation faite à l'Europe pour discuter du nouvel ordre du jour", estime Konstantin Simonov, directeur général du Centre de conjoncture politique.

"Compte tenu des relations tendues avec les Etats-Unis, la Russie continue à s'orienter vers le rapprochement avec l'Europe. Quant à l'UE, elle veut également devenir un acteur le plus indépendant possible dans l'arène internationale et se débarrasser de sa dépendance envers les Etats-Unis. C'est là que les positions de l'Europe et de la Russie coïncident", affirme Timofeï Bordatchev, directeur du Centre d'études européennes du Haut collège d'économie.

Vladimir Goutnik, directeur du Centre d'études européennes de l'Institut d'économie mondiale et de relations internationales, reste toutefois sceptique sur les résultats de la conférence d'Evian: "La rencontre d'Evian n'a apporté qu'une rhétorique vide et des réflexions générales, et n'a proposé aucune solution concrète face aux problèmes internationaux, surtout dans le domaine des finances".


Les accords d’Evian, Dedefensa
En gros, voici ce qui s’est dit, compris et interprété.

• L’affaire géorgienne s’estompe et apparaît pour ce qu’elle fut : un détonateur pour d’autres grandes ambitions. Les Russes tiennent leurs promesses et s’en vont. Tout le monde applaudit, Sarko-UE peut proclamer au nom de l’UE “mission accomplished”.

• La (première) grande affaire devient le projet russe de nouveau pacte de sécurité européen (le “plan Medvedev”, présenté en juin dernier).

• Mais les Russes ratissent large. Medvedev parle aussi du système financier mondial, dont il dit qu’il est urgent de le réformer en écartant la prépondérance absolue et désormais obsolète des USA. Nous sommes là dans le vif du vif du sujet, qui est l’actuelle déroute du système anglo-saxon, chaque jour avec une victime expiatoire de plus, – et quelles victimes !

Tout s’enchaîne selon un même point de vue, qui assure par antinomie un rangement hiérarchique du désordre mondial avec la mise en évidence des principaux facteurs de ce désordre : de la crise 9/11 et ses suites obsessionnelles (Irak, Iran, Afghanistan) ; à la crise géorgienne qui nous rapproche du point central en activant la politique russe de déconstruction du système et en donnant à la Russie une place centrale ; à la crise financière, avec en flanc-garde eschatologiques les crises de l’énergie et du climat, qui porte un coup de boutoir terrible au système central en mettant à nu ses contradictions et son caractère déstructurant devenu insupportable.

Dans toutes ces agitations, et notamment à Evian, il y a un grand absent, – les USA bien sûr. Le pouvoir américaniste évolue actuellement en pilotage automatique selon un système naturellement conçu par le puissant Pentagone, – on imagine son efficacité; ce pouvoir est, par conséquent, totalement sourd et aveugle par rapport à ce qui se passe. Il est en mode autiste, incapable d’imaginer que quelque chose puisse se passer en dehors de lui, qui ait quelque importance, notamment avec la Russie et en Europe, dont personne à Washington n’imagine qu’on puisse y concevoir une idée hors du champ des influences américanistes.

Commentaires : Cette conférence fut peu commentée par les médias français dominants, absorbés par le feuilleton de la crise financière. La presse russe l'a naturellement très largement présentée, commentée et analysée. Lire RIA Novosti.

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